Chapitre XII

Le contre-torpilleur Lightning – 3.000 tonneaux, 8 canons de 138 en tourelles doubles – de la Marine des États-Unis, croisait au large de Porto-Rico. La nuit était tiède et le commandant Levison, allongé dans un rocking-chair sur le pont, en savourait la douceur. Bientôt, pensait-il, il serait de retour à Miami, y retrouverait son foyer, sa jeune femme et ses deux charmantes fillettes, et il se sentait transporté d’allégresse.

Derrière lui, une voix demanda timidement :

— Vous permettez, monsieur…

Levison tourna la tête. Le radio-télégraphiste porta la main à la tempe en guise de salut.

— Qu’est-ce que c’est, Harris ? demanda Levison. Besoin de moi ?

— Je viens de recevoir un drôle de message, monsieur. D’un cargo panaméen, le Hurricane

— Avez-vous contrôlé ?

— Oui, monsieur. Ce cargo-là date au moins de la première guerre mondiale…

Le commandant Levison hocha la tête.

— Je vois, dit-il, un de ces bâtiments tout juste bon pour circuler entre les îles. Et quel est ce message ?

Le radio tendit une feuille à son supérieur. À la lueur des fanaux, celui-ci lut à haute voix :

« Transmettre à major Sharkey, Secrétariat à la Défense, Washington. – Choses graves île Assomption, Caraïbes. Envoyez unité marine. Toute Urgence. Duncan. »

— Cela m’a l’air d’une fameuse plaisanterie, monsieur, risqua le radio-télégraphiste.

Le commandant eut une moue dubitative.

— Peut-être, Harris, fit-il, peut-être… Le contraire est possible aussi. Je connais le nom du major Sharkey. C’est une grosse légume des services secrets, ou quelque chose de ce genre. Peut-être connaît-il ce Duncan… Oui, Harris, je crois qu’il vaut mieux transmettre ce message.

Le radio salua rapidement et tourna les talons. Entre ses dents, le commandant Levison maugréa :

— Cette histoire-là va certainement nous amener des ennuis, et avant longtemps…

 

*
* *

 

Calé dans son creux de rocher, Fred Duncan voyait le temps passer avec angoisse. Sa blessure à l’épaule le faisait de plus en plus souffrir et malgré la douceur de sa nuit, il frissonnait et ses dents s’entrechoquaient. « La fièvre, pensait-il, la fièvre… » Et Morane qui ne revenait pas…

Quelque part dans la jungle, les tam-tams vaudous battaient. « Ils ne sont guère loin, songeait Duncan. De l’autre côté de cette anse, aux environs du Morne Vert… » Mais au lieu de peupler sa solitude, le bruit des tambours ne faisait que l’énerver davantage. Parfois, dominant tous les autres battements, le son de l’ountor, le grand tam-tam rituel, résonnait comme une menace. « Je n’aurais pas dû laisser partir le commandant Morane, pensa encore Duncan. Je n’aurais pas dû le laisser partir… Ces coups de feu, que j’ai entendus tout à l’heure lui étaient sans doute destinés. Ils ne pouvaient que lui être destinés… » Pourtant, l’Américain savait que, si lui-même n’avait été blessé, il aurait voulu partir. Tout comme Morane était parti…

Avec tendresse, Duncan caressa le canon de son revolver. Dans sa solitude, c’était là son seul ami. Étrange amitié en vérité. Du métal froid, fait pour donner la mort…

Là-bas, quelque chose glissa sur l’eau, puis il y eut un léger choc contre les rochers. Duncan l’entendit nettement, malgré le bruit des tam-tams.

— Est-ce vous ? Commandant ? demandait-il.

— En personne, fit la voix de Morane.

Il tirait la pirogue sur les rochers. Quelques secondes plus tard, Bob se retrouvait près de l’Américain.

— Comment cela s’est-il passé ? demanda ce dernier.

— Pas trop mal. J’ai eu un coup dur, bien sûr, mais je m’en suis tiré…

— Avez-vous réussi à envoyer le message ?

— J’ai réussi. Un cargo panaméen l’a capté. Mais l’aura-t-il retransmis ? Cela c’est une autre histoire. Je n’ai pu attendre sa réponse, car quelqu’un est venu me déranger…

Rapidement, Morane mit Duncan au courant de son aventure sur le Sea Witch. Quand il eut terminé, l’Américain hocha la tête.

— Il nous faut patienter, dit-il. Si Washington reçoit mon message, on viendra à notre secours…

— Je l’espère, fit Bob…

Il tourna la tête du côté d’où venait le bruit des tambours.

— Ils s’en donnent à cœur joie là-bas, dit-il. J’ai visité Haïti il n’y a guère très longtemps et, si je ne me trompe, les travailleurs sont en train de célébrer une cérémonie Petro, et les dieux Petro se trouvent être particulièrement violents. S’ils étaient en train de sacrifier à Ogoun-Yeux-Rouges, l’esprit de la guerre, cela ne m’étonnerait pas outre mesure…

— Moi non plus, fit Duncan. Caïus, le Noir que vous avez tiré l’autre jour des pattes de Mayer, est prêtre vaudou, et il doit en vouloir pas mal au professeur Sixte… Peut-être les travailleurs sont-ils occupés à préparer un assaut général contre le repaire d’acier, et je ne les désapprouverai guère. D’autres que ces gens paisibles se seraient depuis longtemps révoltés contre la tyrannie du professeur et de sa racaille…

Morane avait remarqué que Duncan frissonnait et claquait des dents.

— Votre blessure vous ferait-elle souffrir à ce point ? interrogea-t-il. Vous grelottez de fièvre… Auriez-vous de quoi faire un peu de lumière ?

— Je dois avoir un briquet là quelque part, dit Duncan. Espérons qu’il ne soit pas perdu… et qu’il marche… Le voilà…

Entre les doigts de l’Américain, une petite flamme jaillit, à la lueur de laquelle, Morane inspecta la blessure de son compagnon. Au bout d’un moment, il releva la tête et fit la grimace.

— Ce n’est pas très très joli, dit-il. Ce n’est peut-être pas la gangrène, mais vous avez néanmoins besoin d’un docteur.

— Un docteur !… ricana Duncan. Où voulez-vous en trouver un ici ?

— Là où battent les tam-tams, dit Morane. Les prêtres vaudous sont en même temps des « docteurs-feuilles ». Ils connaissent les plantes qui guérissent. À l’aube, nous irons vers les tam-tams. En attendant, je vais chauffer au rouge, à la flamme du briquet, la pointe de votre couteau, et cautériser cette plaie. Espérons que le briquet ne manquera pas trop tôt d’essence. Et, surtout, ne vous gênez pas pour crier. Avec le bruit des tam-tams, vous ne risquez pas d’être entendu de très loin…

Bob tira le couteau de sa gaine et en passa la pointe sur la flamme. L’acier noircit d’abord, puis tourna au brun, ensuite au pourpre et, enfin au rouge vif.

— Surtout, ne vous gênez pas pour crier, dit encore Morane.

Fred Duncan cria, mais personne ne se serait avisé du lui en faire grief.

Les faiseurs de désert
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